Après des années d’observation de l’industrie, on retrouve souvent les mêmes motifs parmi celles et ceux qui créé des entreprises de jeux vidéo, ils ont une grande ambition. Créer un jeu vidéo est un processus très compliqué, nécessitant de nombreux corps de métier et expertises, et beaucoup d’argent pour financer les nombreux essais et erreurs, que l’équipe fera inévitablement. Rien n’est sur au début du développement d’un jeu, comment il va se jouer, à quoi il va ressembler. Ainsi, nombreux sont ceux qui visent la Lune et qui ne parviennent pas à décoller.
Voici quelques exemples de grande ambition et peut-être quelques éléments de réflexion:
Q Entertainment
En 2003 au Japon lorsque le célèbre créateur Tetsuya Mizuguchi (Rez, Space Channel 5) quitte SEGA, pour fonder Q Entertainment, il reçoit un très bon conseil de l’un de ces collaborateurs: « Fait d’abord des petits jeux pour pouvoir financer le grand jeu que tu veux faire. »
Il va heureusement suivre ce conseil à la lettre et créer les jeux Meteos (2005) pour la Nintendo DS et Lumines (2004) pour la console Sony PSP.
Le succès de chacun d’entre eux lui permettra de financer ensuite le jeu qu’il avait en tête N3: Ninety Nine Nights (2006). Alors que Meteos et Lumines continue de rapporter de l’argent à la société, N3 ne va pas se vendre suffisamment. Dans le cas où l’entreprise aurait tout misé sur ce jeu, cela l’aurait mise en difficulté, mais heureusement ce ne fut pas le cas.
Comcept
Lorsque le co-créateur du personnage Mega Man, Keiji Inafune quitte Capcom en 2010, il fonde sa propre entreprise: Comcept.
Ainsi, lui qui souhaitait faire autre chose que des jeux Mega Man chez Capcom, se met à travailler sur un clone du même jeu. Il lance une campagne de sociofinancement sur Kickstarter afin de se faire financer par les fans de ces précédents projets. C’est ainsi que le projet Mighty No.9 se trouve financé en très peu de temps pour 3,8 millions de dollars US. Keiji Inafune et son équipe sont alors euphoriques et se mettent à imaginer tout ce qu’ils vont pouvoir faire avec cet argent. Ainsi, ils démarrent de multiples projets de portage du futur jeu sur toutes les machines, promettent un dessin animé mettant en scène le nouveau protagoniste, …
Comcept commence même à imaginer un second jeu pour lequel elle demande du sociofinancement!
Keiji et son équipe font de nombreuses promesses à ceux qui ont financé alors même qu’ils doivent travailler sur le jeu promis.
La suite on l’a connaît: Le jeu originellement prévu subi de nombreux problèmes de développement. Tous les autres projets et promesses se voient annuler peu à peu. Le jeu finit par sortir mais il est très mauvais et se révèle être un échec critique et commercial.
Comcept ferme. Keiji et son équipe trouvent du travail dans les autres entreprises.
Panache Digital Games
Lorsque Patrice Désilets quitte UbiSoft pour la seconde fois (son employeur à l’époque, THQ, se fait racheter par UbiSoft), il fonde le studio de jeu vidéo: Panache Digital Games (2014) avec certains de ses ex-collègues. En effet, lorsqu’on travaille sur de nombreuses franchises prestigieuses comme Assassin’s Creed ou Prince of Persia dans de grands studios, on possède dans son carnet d’adresses des personnes très qualifiées. C’est ainsi que Patrice Désilets et son équipe se sont lancés directement sur la création d’un jeu AAA. C’est à dire un jeu à gros budget: Ancestors The Humankind Odyssey, un jeu ayant nécessité 5 ans de développement.
Lorsque le jeu sort, il est malheureusement accueilli par des critiques moyennes.
Haven
Histoire similaire pour Jade Raymond, qui après être passée par les studios de jeux vidéo Ubisoft, EA, Google Stadia, a fondé son studio Haven financé par Sony Interactive Entertainment. Si on n’est pas sur à l’heure actuelle que le premier jeu de Haven sera un jeu AAA, on peut imaginer que Sony a financé le studio de la vétérante d’Assassin’s Creed, Splinter Cell, ou Watch Dogs pour son expertise sur les jeux à haut budget. C’est en effet, un désir de Sony de se concentrer sur ce type de jeux dernièrement pour convaincre les acheteurs de se procurer une Playstation 5.
On sait que le premier jeu de Haven sera une nouvelle franchise en tout cas.
Racoon Logic
Parmi les autres victimes de la fermeture des studios de développement de jeux pour Google Stadia, Alex Hutchinson et Reid Schneider qui ont formé leur studio Racoon Logic avec l’argent des chinois de Tencent.
Ils reprennent l’ancien jeu AAA sur lequel ils travaillaient chez Google.
Reflector Entertainment
Et enfin, Reflector Entertainment a été fondé en 2013 qui travaille sur les itérations de leur jeu AAA, nommé Unknown 9 Awakening depuis ce temps la. Heureusement leur travail a convaincu la société Bandai Namco qui a racheté le studio en 2020. Il s’agit d’un seul jeu en plus de 7 ans dont on a juste aperçu une bande annonce.
De grandes ambitions
C’est déjà un grand risque de démarrer une entreprise. C’est encore plus risqué de démarrer un jeu qui va coûter plusieurs dizaines de millions de dollars à produire. C’est comme si quelqu’un qui quitte un studio de production de films, se mettait à démarrer le sien et à viser la production d’un film blockbuster qui coûte autant qu’un film du Marvel Cinematic Universe.
Je comprends que lorsqu’on est connu pour un jeu tel qu’ Assassin’s Creed, on veut impressionner tout le monde avec son nouveau jeu que l’on a produit « tout seul », sans le grand studio qui nous a viré ou que l’on a quitté, mais c’est pas une question de revanche. C’est une question de gérer l’étendue d’un projet raisonnablement. C’est faire de plus petits projets, démarrer des franchises peut-être plus modestement qu’en visant directement quelque chose de « transmédia » (une franchise présente sur plusieurs médias comme films, jeux, jouets, dessins animés).
Lorsqu’on lance un studio, l’équipe ne se connaît pas, les processus de travail ne sont pas mis en place, les outils ne sont pas définis, les responsabilités de chacun des employés ne sont pas définies, les locaux des studios ne sont même pas forcément définitifs.
De plus, être un directeur créatif, un game designer, ou un producteur ne veut pas dire être un bon directeur de studio. Ce sont des métiers complètement différents. Même les relations avec les collègues sont différentes.
L’histoire comporte de nombreux récits de personnes avec des destins similaires. Si je leur souhaite bien évidemment un grand succès à toutes et à tous, je ne peux m’empêcher de trouver parfois leur ambition démesurée, d’où la raison de mon article.