Afin de renseigner des étudiants qui s’intéressent aux métiers du jeu vidéo et de la musique, je suis allé mener l’enquête chez Vibe Avenue, un studio de production audio spécialisé dans le jeu vidéo qui m’a très gentiment ouvert ses portes.
Vibe Avenue a été fondé en 2013 par François-Xavier Dupas et Mathieu Lavoie.
Ils ont répondu à mes très nombreuses questions et voici un résumé de leurs réponses. Lorsque je citerai l’un ou l’autre, François-Xavier Dupas sera abrégé FX, et Mathieu Lavoie, Mathieu.
À noter que notre conversation a duré plus de 45 minutes, ceci est une synthèse de la retranscription de la conversation. Il est normal que certaines phrases ci-dessous semblent parlées, ou ne soient pas totalement fluides lorsqu’écrites.
Vibe Avenue travaille aujourd’hui avec une quinzaine de personnes. C’est donc un studio de production audio spécialisé dans le jeu vidéo, qui peut non seulement produire de la musique mais aussi des effets sonores (feuillage, explosion, bruits de pas, animaux…) et des voix pour les personnages, chants ou même les monstres. La plupart de la production audio se fait à l’interne, mais pour certains besoins spécifiques ils engagent des personnes à l’externe.
La production audio musicale pour un jeu vidéo peut se dérouler de deux manières distinctes:
- dynamique: la musique s’adapte à l’action du joueur dans le jeu
- linéaire: la musique reste identique quelque soit les actions du joueur dans le jeu.
Parfois un jeu vidéo a besoin des deux techniques: une musique dynamique pendant le gameplay, des compositions linéaires pour les menus et cinématiques.
Vibe Avenue est un fournisseur de services, c’est-à-dire qu’ils accomplissent des services, de la production audio en l’occurrence, pour de multiples studios. Ils sont donc constamment en train de travailler sur plusieurs jeux en même temps pour différentes entreprises.
Vibe Avenue essaie bien sur le titre de bout en bout et consulte tous les documents afin de cerner les besoins du studio qui développe le jeu. Pendant tout le développement du jeu, il y a de nombreuses itérations et communications entre Vibe Avenue et le studio du jeu.
« La phase de composition musicale est similaire à celle qui se passe par exemple sur un film ou dans d’autres médias » nous dit FX.
On commence par des morceaux globaux pour tenter de capturer une ambiance, « ensuite une fois que la musique est composée puis qu’elle est approuvée c’est là que vraiment on va la découper en morceaux et l’intégrer pour qu’elle réagisse de façon dynamique à ce qui se passe dans le jeu » continue FX.
Je vois beaucoup d’instruments dans le studio, est-ce que vous expérimentez avec tout cela et qui sait jouer quel instrument ?
FX: « On est une équipe, on a beaucoup de gens et tout le monde est musicien ici. Et puis quelle que soit la spécialité principale des gens, ils risquent tous de participer à la musique à un moment ou un autre. »
« Mathieu et moi sommes les compositeurs principaux de l’entreprise. Nous jouons beaucoup d’instruments différents.
Mathieu joue des flûtes, des guitares donc tout ce qui est cordes pincées, il joue aussi du violon, alto violoncelle donc tout ce qui est cordes frottées et des percussions aussi donc il peut jouer une quantité assez considérable d’instruments »
« Moi à la base je suis pianiste, je joue aussi de l’harmonica de tous les instruments à clavier, accordéon, tous les synthétiseurs, mais aussi un petit peu de percussions et de guitare. »
« et puis ensuite dans l’équipe on a des chanteurs, des gens qui jouent plus du drum, des guitaristes vraiment meilleurs que nous, donc si on met tout ensemble, on a de quoi produire quelque chose de vraiment très bonne qualité juste au studio. »
Avec quels types de studios travaillez-vous?
FX: « En fait, on a commencé par les jeux indépendants, c’est sûr, car on était vraiment petit au départ, nous étions juste deux personnes au début de Vibe Avenue, Mathieu et moi, il y a 10 ans. On a commencé en approchant des studios indépendants et puis petit à petit notre réputation a grandi à Montréal.
« Ensuite au fur et à mesure il y a des gens d’autres pays qui nous ont appelé etc. Donc aujourd’hui on est vraiment international ! On a quand même un gros bassin de clients au Québec, c’est sûr mais on travaille aussi beaucoup avec les Etats-Unis, la Chine et l’Europe. »
« On est en train de terminer un jeu dans l’univers de League of Legends: CONV/RGENCE: A League Of Legends Story, on a aussi fait des grosses franchises comme Star Trek, Dungeons & Dragons Dark Alliance ou encore Necromunda Underhive Wars et des jeux de studios indépendants comme: Tribes Of Midgard et Ultimate Chicken Horse.
« D’ailleurs on vient d’être nommé aux Music and Sound awards pour notre travail ! »
Pour Dungeons & Dragons Dark Alliance on se disait au départ: « bon ça va être une un score très épique genre le Seigneur des Anneaux avec de gros orchestres tout ça! » Puis finalement le directeur artistique nous a fait partir dans une direction complètement différente. On a été chercher des sonorités beaucoup plus ethniques, beaucoup de voix , qui chantent dans les langages des Royaumes Oubliés, on a écrit beaucoup de chansons car le jeu met en scène de nombreux monstres et créatures qui performent des chants et rituels musicaux en temps réel.
Nous avons même participé en tant que musiciens à des sessions de motion capture!
Lors de la session on a joué des instruments pour l’équipe de développement, qui a ensuite utilisé ces performances pour animer les monstres. Nous avons également enregistré un orchestre symphonique au grand complet ici à Montréal, ainsi que des chœurs en Bulgarie!
Nous avons également sorti Opération Tango, un jeu de coopération asymétrique où un hacker et un agent doivent communiquer pour résoudre des énigmes. Le style était plus proche d’un Mission Impossible, donc très différent de ce que nous avons fait sur Dark Alliance au niveau du style
Comment vous vous adaptez à chacun des styles ?
FX: « On a quand même un background assez large comme d’ailleurs beaucoup de gens qui font de la musique non seulement de jeux vidéo mais de films également. Ce sont souvent des disciplines auxquelles on arrive un petit peu plus tard, c’est assez rare que quelqu’un en sortant du Cégep à 18 ans dise: « Ah je vais aller composer de la musique de jeux vidéo! »
C’est ce qui s’est passé avec Mathieu et moi, on a commencé à faire ça plus dans notre début de trentaine. Moi j’avais déjà 10 ans d’expérience en tant que pianiste de concert dans différents styles,
J’ai fait des classiques au Conservatoire, j’ai joué énormément de jazz , j’ai fait de la musicologie à l’université. J’ai notamment étudié les musiques traditionnelles des différents pays etc.
J’avais par exemple étudié pas mal les musiques du Japon, j’adore cela donc en fait la passion c’est une des
raisons pour lesquelles on se retrouve dans ce métier. Une raison pour laquelle on se dirige vers ce métier c’est que l’on n’arrive pas à choisir le style musical que l’on préfère !
Quand je faisais du jazz je me demandais « mais l’orchestre il est où! », quand je faisais du classique je disais: « ouais ça manque un peu de guitare métal là dedans! »
Il y a de nombreuses étapes dans le développement de jeux vidéo: l’idéation, le prototype, vertical slice, la production, l’alpha, la beta … à quel moment intervenez-vous?
FX: « Ça dépend mais la plupart du temps on arrive très tôt dans le développement. C’est vraiment rare mais ça nous est déjà arrivé qu’on nous appelle en disant « Hey, on a un jeu, il va sortir dans deux mois puis il y a pas de son et on sait pas quoi faire! »
La plupart du temps c’est: « OK, on a un jeu, il est à la phase de concept ou de prototype et puis on voudrait commencer à travailler avec des gens de son. »
Le plus souvent les prototypes vont être utiles soit pour aller chercher un financement avec le Fonds des médias du Canada ou aller chercher un publisher ou bien faire une campagne de sociofinancement ou bien sortir un démo sur Early access, donc pour cela il faut qu’il y ait du son et de la musique. »
Est-ce que tout le monde doit suivre un parcours scolaire pour travailler dans le domaine musical dans le jeu vidéo ?
FX: « Il y a pas vraiment de réponse, on peut y arriver de plein de manières je pense. On peut faire effectivement une formation maintenant. Il commence à avoir des formations dans différents endroits dont l’Université de Montréal, l’UQAM ou l’Université de Sherbrooke.
Quand nous avons commencé, il n’y avait pas de formation. Maintenant on peut aussi se former directement en ligne.
Je dirais que pour la musique, il faut avoir une formation solide de musicien quel que soit l’instrument et le style.
Ce n’est pas forcément de la musique classique, ça peut être aussi de la musique électronique, ça peut être de la pop mais il faut quand même avoir du bagage, C’est sûr que le niveau de qualité attendu est vraiment haut et puis il y a beaucoup de compétition sur le marché du travail.
Il faut quand même une réelle passion pour les jeux vidéo, si on veut vraiment faire ça, il faut jouer, il faut connaître les jeux et être capable de parler le langage des développeurs.
On est des geeks, il faut le dire ! Après nos journées, on joue à Donjon et Dragon, ou à Magic, ou aux jeux
vidéo d’ailleurs voilà c’est la base! »
Est-ce que vous avez des banques de son que vous utilisez pour les effets sonores ou bien vous faites les sons en faisant des bruitages avec du plastique et du bois comme on voit dans les making-of de film?
FX: « Les deux, on a des banques de son pour les choses qui sont assez difficiles à faire soi-même comme les … Lance-Roquettes ! Mais on fait aussi beaucoup de création, on enregistre toutes sortes de matière, toutes sortes de choses et puis après on va aller travailler avec des effets ou de la synthèse. On a aussi des micros qui sont plus spécialisés là-dedans comme des micros qui enregistrent des fréquences très aiguës que l’oreille humaine ne capte pas.
On peut ensuite descendre le son en pitch pour aller chercher ces fréquences là, ce qui permet de créer des voix de monstres ou de créatures surnaturelles.
On fait aussi de l’enregistrement vocal, donc soit des acteurs pour des dialogues, ou de la narration ou soit d’autres types de talents de vocaux pour des monstres ou des voix d’aliens, par exemple. »
Est-ce qu’il y a des débouchés ?
FX: « Il y a de très nombreux métiers, cela fait quand même énormément de possibilités de choix de carrière. On est en pénurie de main-d’œuvre dans ce secteur comme dans tout le reste du Québec.
Il y a un petit peu une guerre des talents en ce moment. Malgré cela,je pense que ce n’est pas non plus forcément la branche la plus facile, parce qu’il y a quand même de la compétition
Il y a moins de gens en audio que, par exemple, en visuel dans un jeu, mais il y a quand même beaucoup de choses à faire!
Tout est relatif mais en tout cas en ce moment je pense que quelqu’un qui a l’expertise va pouvoir gagner sa vie en exerçant ce métier.
Avoir une bonne attitude est primordial. On parle tout de même d’un milieu où il va falloir retravailler souvent les choses, il faut dialoguer avec les autres personnes qui créent le jeu, donc si on est très centré sur soi ,sur son ego en disant « Oui, MA MUSIQUE », ce n’est peut-être pas une bonne voie pour vous.
Il vaut mieux être ouvert aux collaborations quelles qu’elles soient entre artistes audio et puis aussi avec tous les autres corps de métier du jeu vidéo. »
Faut-il parler anglais? Faut-il être bilingue?
FX: « Vibe Avenue est un milieu de travail francophone mais une bonne moitié de nos clients sont anglophones, même ici à Montréal
Le jeu vidéo se fait beaucoup en collaboration entre studios de différents pays, donc oui c’est quand même très important de bien connaître l’anglais.
Au niveau des candidats, on préfère quelqu’un qui a une vraie envie d’apprendre de se développer, quelqu’un avec un vrai potentiel.
On va prendre le temps que ça prend pour former cette personne alors que quelqu’un qui arrive avec énormément de compétences mais chez qui on sent que ça ne va pas fonctionner avec l’équipe, on ne l’engagera pas.
C’est une particularité propre à nous car on travaille énormément en équipe puis on fait très attention à essayer de trouver des gens qui vont aller bien dans le groupe. On veut qu’il y ait une bonne ambiance de travail, que les gens s’entendent bien que ce soit positif, qu’il y ait de l’entraide entre tout le monde parce qu’on passe beaucoup de temps tous ensemble sur les projets. Tu vois, pour te donner un exemple précis, il y a deux ans je pense on avait fait une annonce pour un assistant musique et on a eu toutes sortes de profils qui se sont présentés, dont des gens qui avaient des maîtrises universitaires et finalement on a pris quelqu’un qui avait juste un Cégep.
Ce n’était pas le plus avancé. Il n’avait pas forcément le plus de bagage mais à côté de ça, niveau personnalité, on trouvait que c’était super. Il avait travaillé comme programmeur donc il a amené cette expérience là en plus du reste et même s’il n’avait pas tant d’études derrière lui en musique, son portfolio était vraiment impressionnant,notamment sur tout ce qui était orchestration . C’est donc lui qu’on a choisi au final.
On n’a pas regretté, il est resté avec nous jusqu’à aujourd’hui!
Quels conseils pour les jeunes?
FX: « Si j’ai un conseil à donner c’est: « Formez-vous, apprenez tout ce que vous avez envie d’apprendre ça, peut être le solfège si c’est ça qui vous tente mais aussi tout ce qui est relatif notamment à l’intégration dans un jeu vidéo donc apprendre Wwise (outil de l’industrie du son pour intégrer les sons dans un jeu), perfectionner votre musique, vos skills de compositeur, vous pouvez aussi faire un peu de sound design »
Ça peut vous aider à trouver une première opportunité, dans un plus petit studio, car ils aiment les gens qui sont polyvalents ce qui leur évite d’embaucher trois personnes quand il y a une personne qui peut faire tout le travail. »
À quels types de salaires peut-on s’attendre?
FX: « Si on est vraiment junior sans aucune expérience, on peut commencer dans les 40 000$ puis après ça peut monter quand même relativement vite pour arriver à des salaires de 100 000$, 120k, 130k
Si on est directeur audio sur un gros projet là je pense que on est au dessus de 100 000$ sans aucun problème
Quels sont les métiers du jeu vidéo qui sont en lien avec la musique?
Marc: Il y a de nombreux métiers dans le son, mais d’après ce que j’ai compris: tout le monde ou presque est concepteur sonore ou bien ingénieur du son !
C’est une appellation qui regroupe de nombreuses spécialités. Voici quelques uns des métiers du jeu vidéo qui sont en lien avec la musique:
- Compositeur (Supervise la production, compose, est en charge de la totalité du morceau)
- Ingénieur du son
- Assistant musique (Organise les sessions d’enregistrements, fait les montages, mixe)
- Orchestrateur (Crée les partitions pour orchestre, est en charge de toute l’organisation pour un orchestre)
- Orchestrateur virtuel
- Mixeur (Mixer de la musique (possible à l’interne ou externe du studio))
- Copiste
- Mastering (Permet le transfert de son enregistré vers une autre source audio, CD, Vinyl, Concert)
- Technicien de studio
- Technical Sound Designer (Surtout de la programmation, intègre, créé des systèmes dans le jeu pour le son, pas de création )
- Concepteur sonore
- Intégrateur en intergiciel
- Intégrateur en engin
- Interprète
- Contracteur
- Éditeur/gestionnaire des droits
- QA Tester Audio (Spécialisé dans le décèlement des bugs audio)
- Directeur Audio (En charge de la direction artistique globale du projet, s’assure avec les producteurs, et le reste de l’équipe que tout est cohérent, surtout de la gestion, peu ou pas de création )
- Agent d’artiste…
Combien de temps ça prend pour créer de la musique pour les jeux vidéo?
Mathieu Lavoie: « Il n’y a aucune réponse universelle à cette question. Le temps de création est lié à la complexité de la commande (genre, stylistique, etc.), au niveau de production souhaité (instrumentistes et sessions d’enregistrement, synthétiseurs, musique à l’ordinateur) à la clarté des instructions et de la direction créative, au nombre d’intervenants dans le processus d’approbation des pistes, aux contraintes et besoins dynamiques des musiques (interactivité, adaptabilité), aux besoins de variabilité des musiques (techniques nécessaires pour éviter la fatigue auditive), au processus d’intégration des musiques dans le jeu et a sa propre capacité de création. »
Merci à François-Xavier Dupas, Mathieu Lavoie et à toute l’équipe pour m’avoir reçu au studio.
Le site officiel de Vibe Avenue et la page de leurs projets
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Pour plus d’informations sur les métiers du son:
Gaming campus – Fiches métiers: Sound designer, Audio Director, Compositeur jeux vidéo
PLAY – Les métiers de la création du jeu vidéo sur france·tv slash – france.tv – S1 E1 : Olivier Derivière, Compositeur de musique de jeux vidéo